Portrait du peintre en collectionneur

 

.................xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx«Qu'est-ce au fond qu'un peintre ? C'est un collectionneur qui xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx..veut se constituer une collection en faisant lui-même les xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxtableaux qu'il aime chez les autres. C'est comme ça que je xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxcommence, et puis ça devient autre chose »
xxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxxx J.Leymarie, Picasso. Métamorphoses et unité

 

Collectionneur, Pierre-Yves Canard l'est, en partie, des tableaux qu'il aime chez les autres (les citations et les clins d'oeil ne manquent pas), en partie des tableaux qu'il aimerait contempler chez les autres, mais qu'il ne trouve pas. Donc, il les peint.

Collectionneur, il l'est encore des sujets qu'il inscrit dans ses toiles, nombreux sujets, titres et légendes qui évoquent un monde à la Raymond Roussel. Ainsi de : Fauteuil, L'entomologiste, Tintin, Le crocodile captif, L'égyptien sans peine, Comment multiplier vos plantes d'intérieur, Orlando, Chat Botté, Un peu fort de café, Cerf ! Ouvre moi ! Le naturel n'est qu'une pause parmi tant d'autres, La pêche au gros, St Sébastien au citron, Une place pour chaque chose, Déberlinoir, La mythologie pour tous, ...

Dans Les mots et les choses , Michel Foucault rapporte l'existence d'une « certaine encyclopédie chinoise » , conçue par Borges, qui a « le charme exotique d'une autre pensée , (...) faisant vaciller et inquiétant pour longtemps notre pratique millénaire du Même et de l'Autre ». La taxinomie qui en fait l'objet énonce le monde animal en : « a- appartenant à l'Empereur, b- embaumés, (...) d- cochons de lait, (...) i- qui s'agitent comme des fous et (...)   k- dessinés avec un pinceau très fin en poil de chameau ». Les rubriques consignent des catégories concevables dans leurs singularités, mais l'inventaire dans son ensemble défie la pensée et la rend pratiquement impossible. Non d'ailleurs en raison de la proximité des rencontres insolites qu'il provoque, et de la   « proximité des extrêmes ou des choses sans rapport »...   Non, ce qui est impossible, c'est le site lui-même où elles pourraient exister. Et justement...

Le tableau est, chez le collectionneur, le site privilégié de la cohabitation de ces singularités antinomiques et de la tentative de leur classement : chaque toile ou dessin entre systématiquement dans un thème, parfois se croisent ou se chevauchent. Ces thèmes ne sont pas travaillés selon l'ordre linéaire de la série, comme déclinaisons, et les divers éléments ne sont pas des fragments, les parties d'un tout. Ils valent pour eux-mêmes, et viennent d'époques et de styles différents. Pas de volonté d'approfondir, chez le collectionneur, de travailler en charge creuse, ou d'exploiter une idée plastique ou littéraire.

Tortue et tatou , et autres Caméléons , à peine entrés dans la toile, semblent prêts à bondir dehors, déjà à moitié sortis. C'est aussi dans cette qualité bondissante, entre ces deux moments, indistincts l'un de l'autre, d'entrée et de sortie, que surgit la tentation de fable, à peine apparue, déjà disparue. Mais le refus du narratif est catégorique !

Le sujet est solidement ancré dans l'espace du tableau, mais il flotte, il reste en suspension. La volonté du collectionneur est évidente dans ce qu'il donne à voir : le flottement créé en partie par une certaine ambiguïté.

« L'ambiguïté , dit le collectionneur, est la seule façon de casser le rapport de reconnaissance conventionnel et d'habitude qu'on entretient avec les choses, les phénomènes et les gens. C'est aussi la seule façon de suggérer l'intérieur, en donnant à voir entre deux éléments, entre deux possibles ».

Et aussi :

« Je ne crois guère à l'expérience, le peu qu'on sait s'imprime en nous comme un tampon».

Peu de désir de chercher l'information, la connaissance, de créer , mais celui de reconstituer un puzzle.

On rapprochera ce parti pris de celui du fils de Marguerite Duras : « Je ne veux plus aller à l'école parce qu'on y apprend des choses que je ne sais pas » .

Christiane Cavallin Carlut, octobre 2005

Portrait of the Painter as a Collector

 

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXX"What is, finally, a painter? It is a collector who wants
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXto found a collection by doing himself the paintings XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXwhich he likes to see in the homes of other people. XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXThis the way I begin, and then it becomes XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXsomething else"
XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXJ.Leymarie, Picasso. Metamorphoses and Unity

Pierre-Yves Canard is a collector, partly of the paintings he likes in the homes of other people (quotations and winks abound), partly of paintings which he would like to look in the home of other people, but which he does not find there. Therefore, he paints them.

Collector, he is also of the subjects which he inserts into his canvases, many subjects, titles and legends which evoke a world like the one of Raymond Roussel. Such as: Armchair, The Entomologist, Tintin, The Captive Crocodile, The Egyptian without pain, How to multiply your interior Plants, Orlando, Cat in Boots, Deer ! Open to me! Naturalness is only a Pause among so many others, St Sebastien with Lemon, a place for each thing, Mythology for all,. ..  

In "The Order of Things" , Michel Foucault reports the existence of a "certain Chinese encyclopaedia", conceived by Borges, which has " the exotic charm of another thought, (...) shaking and worrying, for long, our thousand-year-old use of the Same and the Other". The taxonomy suggested in the text divides the animal world in: "a-belonging to the Emperor, b- embalmed, (...) d- piglets, (...) i- upset like an insane and (...) k- drawn with a very fine brush made out hair of camel". The headings denote conceivable categories in their singularities, but the inventory as a whole defies thought and makes it practically impossible. Not, by the way, because of the proximity of strange contrasts which it causes, and of the "proximity of the extremes or the things without relations"... No, what is impossible, is the site itself where they could exist. Precisely...

A painting is, for the collector, the privileged place for the cohabitation of these paradoxical singularities and an attempt of their classification : each canvas or drawing enters systematically into a topic, sometimes it crosses it or overlaps with another subject. These topics are not worked out according to the linear order of a series , as variations, and the various elements are not either fragments, or parts of a whole. They are meant to be what they are, and derive from different times and styles. No will to deepen, in the collector attitude, to work from underneath or to exploit a visual or a literary idea.

Tortoise and Armadillo , and other Chameleons , as they enter the canvas, seem ready to leap outside, actually they are already half-way out. It is also in this jumping quality, between these two moments, not clear which is one or the other, entry or exit, that the temptation of a fable emerges, just appearing, already disappearing. The refusal of a narrative is categorical !

The subject is firmly anchored in the space of the canvas, but it floats, it remains in suspension. The will of the collector is obvious in what he presents: a wavering, partly created by a certain ambiguity.

" The ambiguity , says the collector, is the only way of breaking the conventional relation of recognition and habits which one upholds with things, phenomena and people. This is also the only way to suggest the interior, offering a show between two elements, two possibles".

And also:  

" I hardly believe in experience, the little we know is printed into us like by a plug stamp ".

That is, there is little desire to seek information, knowledge, little desire to create , but rather to reconstitute a puzzle.

One might relate this desire to that of the son of Marguerite Duras: " I do not want to go to school any more because I learn things that I do not know ".

XXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXXChristiane Cavallin Carlut, october 2005